J’entends ici par « mode », au masculin, la manière de disposer une rythmique caractéristique, la mode en faisant partie bien sûr.
Une pensée, qui donne un mot, qui donne une phrase… tout cela surgit du mouvement… et même tout, toutes les choses, même celles qui nous semblent les plus inanimées. Le mouvement est partout. Il est la vie, la mort aussi. Il est ce qui commence et ce qui finit. Il est notre coeur qui bat, notre respiration. Il est même en nous là où nos sens ne le distinguent pas. Jusqu’où devons-nous le suivre ? Jusqu’où devons-nous suivre nos pulsions, le mouvement général, les mouvements de groupes… ? Quels modes devons-nous intégrer ? Quelle mesure prendre ? Parfois on bouge jusqu’à l’ivresse, parfois jusqu’à la maladie ; parfois c’est du plaisir… Bouger pour ramasser celui qui est tombé. Se mouvoir pour ne pas être bousculé. Trouver l’air juste… Tout en sachant qu’il ne sera que celui d’un moment.
Si le mouvement constitue tout ce qui fait l’être humain et son environnement, bien sûr, il existe quelque chose au-delà. Mais comme la bête n’a qu’une idée de ce qu’est l’homme, celui-ci n’a qu’une intuition de ce qu’il y a au-delà de lui et de ce que ses sens et son âme appréhendent. Sans le mouvement, il ne ressent que du vide (un mouvement vers le vide), du moins cela semble vrai pour la plupart, non ? De ce ‘vide’, il nous faut créer la plus belle des musiques, la plus belle des danses, un mouvement gracieux, un moment de grâce, plaisant, riche… C’est cela qui fait une des véritables richesses de l’être humain. C’est pour cela qu’il a inventé des modes, des modes qu’il considérait les plus adaptés aux circonstances : chants tristes, gais, solennels… danse… poésie… musique… mode vestimentaire… politesse… enfin tous les modes opératoires, qui agissent. Le mode, chaque mode, est une rythmique, un mouvement de l’esprit qui se fait parole et se concrétise dans le geste… devient réalité… pas obligatoirement maîtrisée, comme la respiration ou le rythme cardiaque, les saisons, la journée… dans une sorte d’emballement du cercle, de la rondeur du monde ou des mondes et des modes.
Illustrations ci-dessus : Photographie stéréoscopique d’une statue romaine, reproduisant le fameux Discobole de Myron.
Si René Descartes (1596 – 1650) a écrit dans son Discours de la méthode (1637) : Cogito, ergo sum (« Je pense donc je suis »), aujourd’hui on dirait plutôt Transeo, ergo non sum (« Je passe, donc je ne suis »), notre société étant surtout celle du passage, du mouvement effréné et rapide... un mouvement devenu folie.
Ci-dessous, ce merveilleux, tout en marchant, semble prendre la terre à témoin dans un mouvement très élégant. Le mouvement est ici une danse : On ne va pas d’un point à un autre, mais le geste est présence et plaisir… et non pas désir… alors que notre société de consommation n’est fondée que sur ce dernier, ce qui nous fait bouger frénétiquement et nous répandre comme un feu qui consomme ! De nos jours, le mode majoritaire est celui de la consommation, et la mode est prête à être portée…de même que les autres modes imposés par les moyens de communication… comme toute notre vie !
Le mouvement est la première chose qui fait la vie. Du reste, le verbe « faire » implique celui-ci. Ce n’est que récemment que le commerce international a accaparé celui de la communauté. Depuis la haute Antiquité jusqu’au XIXe siècle, le poète était considéré comme le plus apte à régler la mesure de la société et de ses êtres humains, à l’harmoniser. Il était le créateur des rythmes nouveaux et le détenteur de ceux anciens et traditionnels. La parole, la musique, la danse, le chant… il proposait à la collectivité les plus beaux rythmes qui la soudaient et la faisaient communier dans la grâce. Évidemment, chacun contribue aux mouvements de la cité ; mais la fonction des poètes était d’offrir les meilleurs, réglant notamment les festivités et proposant des modèles de création, en particulier au niveau de la langue. C’est ainsi que le français s’est constitué et a trouvé ses lettres de noblesse, au bas Moyen-Âge avec les poètes de la fin’amor, puis d’autres comme ceux de l’École lyonnaise, de la Pléiade, des cercles des précieuses, académies, etc.