Le titre de cet article est inspiré de Contes nouveaux ou les Fées à la mode de la baronne d’Aulnoy (1651 – 1705), paru en 1698. Cet auteur est le premier à lancer la mode des contes de fées en France, avec L’Île de la félicité publié en 1691, avant même le moderne Charles Perrault (1628 – 1703).
Cet article ne fait qu’effleurer un sujet sur lequel on pourrait écrire tout un livre. Les contes et la mode sont deux sujets qui me passionnent, avec celui des pastorales, trois thèmes que je collectionne.
Ci-dessous : Détail de l'illustration d'un conte provenant du Cabinet des Fées (1786).
Il existe d’étroits rapports entre la mode et la féerie, et la féerie et la mode, en particulier avec la mode vestimentaire. Ce goût explique en partie la beauté, le faste, le clinquant et la richesse de cette dernière sous l’Ancien Régime, du dernier quart du Moyen-Âge au Second Empire. La fantaisie règne alors. Les formes, les couleurs, la préciosité des tissus et des ajouts multiples (pierres et métaux précieux, broderies, passementerie, etc.), la nouveauté… tout concourt à renchérir sur le merveilleux. Ce n’est pas pour rien que l’on appelle « merveilleux » et « merveilleuses » les petits-maîtres des XVIIIe et XIXe siècles (voir Merveilleuses & Merveilleux), et même déjà depuis le Moyen -Âge. C’est qu’alors, dans la mode, il y a de l’enchantement, de la grâce, du charme… de la magie… Il suffit de contempler des habits féminins et masculins de l’Ancien Régime pour s’en persuader. En admirant certains, on ne peut s’empêcher de penser à des descriptions de vêtements de féerie dépeints dans des contes.
Ci-dessous : Estampe de mode de 1779.
Ces contes décrivent certains vêtements avec beaucoup d’imagination, une imagination qui habille les personnages d’une façon fabuleuse ou bien avec la grâce toute simple d’une bergère ou d’un berger. La beauté est parfois nue, parfois extrêmement habillée, parfois cachée… par exemple sous une peau d’âne. La féerie ne connaît pas de limites. Ses descriptions sont libres, sans contraintes : Un coup de baguette magique et apparaît la plus merveilleuse des robes, le plus fabuleux des carrosses, le plus magnifique des équipages.
Au-delà des descriptions d’habits éblouissants, les contes mettent aussi en scène des personnages ayant au moins un vêtement caractéristique ou une particularité physique : le Chat botté, le Petit chapeau-rond-rouge, Peau d’âne, Barbe bleue, Riquet à la houppe, le Petit poucet, la Belle au bois dormant, Blanche belle, Jeune et Belle, Plus belle que fée, etc. La beauté est corollaire au merveilleux. Elle est parfois confrontée à une laideur tout aussi extraordinaire. Cette dernière peut se cacher derrière la beauté, comme pour la méchante belle-mère de Blanche-Neige et son miroir magique qu’elle consulte afin d’être sûr qu’aucune femme ne la surpasse en beauté !
Quelques extraits :
Le Maître Chat in Histoires ou Contes du temps passé (Contes de ma mère l’Oye) de Charles Perrault.
« Le roi ordonna aussitôt aux officiers de sa garde-robe d’aller quérir un de ses plus beaux habits pour monsieur le marquis de Carabas. Le roi lui fit mille caresses, et, comme les beaux habits qu’on venait de lui donner relevaient sa bonne mine (car il était beau et bien fait de sa personne), la fille du roi le trouva fort à son gré, et le marquis de Carabas ne lui eut pas jeté deux ou trois regards, fort respectueux et un peu tendres, qu’elle en devint amoureuse à la folie. »
Ci-dessous : Centre d'une assiette du premier tiers du XIXe siècle.
« AUTRE MORALITÉ : / Si le fils d’un meunier avec tant de vitesse / Gagne le cœur d’une princesse / Et s’en fait regarder avec des yeux mourants, / C’est que l’habit, la mine et la jeunesse, / Pour inspirer de la tendresse, / N’en sont pas des moyens toujours indifférents. »
Ci-dessous : Le chat botté par Gustave Doré (1832 - 1883).
Peau d’Âne de Charles Perrault in Contes du temps passé.
« Dites-lui qu’il faut qu’il vous donne. / Pour rendre vos désirs contents, / Avant qu’à son désir votre cœur s’abandonne. / Une robe qui soit de la couleur du temps. / Malgré tout son pouvoir et toute sa richesse, /Quoique le ciel en tout favorise ses vœux, /Il ne pourra jamais accomplir sa promesse. // Aussitôt la jeune princesse / L’alla dire en tremblant au prince impérieux, / Qui dans le moment fit entendre / Aux tailleurs les plus importants / Que, s’ils ne lui faisaient, sans trop le faire attendre, / Une robe qui fût de la couleur du temps, / Ils pouvaient s’assurer qu’il les ferait tous pendre. // Le second jour ne luisait pas encore, / Qu’on apporta la robe désirée : / Le plus beau bleu de l’empyrée / N’est pas, lorsqu’il est ceint de gros nuages d’or, / D’une couleur plus azurée. / De joie et de douleur la fille pénétrée, / Ne sait que dire, ni comment / Se dérober à son engagement. / “Ma fille, demandez-en une, / Lui dit sa marraine tout bas, / Qui, plus brillante et moins commune, / Soit de la couleur de la lune ; / Il ne vous la donnera pas.” // À peine la princesse en eut fait la demande, / Que le roi dit à son brodeur : / “Que l’astre de la nuit n’ait pas plus de splendeur, / Et que dans quatre jours, sans faute, on me la rende”. // Le riche habillement fut fait au jour marqué, / Tel que le roi s’en était expliqué. / Dans les cieux où la nuit a déployé ses voiles, / La lune est moins pompeuse en sa robe d’argent, / Lors même qu’au milieu de son cours diligent / Sa plus vive clarté fait pâlir les étoiles. // La princesse, admirant ce merveilleux habit, / Était à consentir presque délibérée ; / Mais, par sa marraine inspirée, / Au prince importun elle dit : / “Je ne saurais être contente, / Que je n’aie une robe encore plus brillante / Et de la couleur du soleil.” // Le prince après avoir assemblé son conseil, / Fit venir aussitôt un riche lapidaire. / Et lui commanda de la faire / D’un superbe tissu d’or et de diamants, / Disant que, s’il manquait à le bien satisfaire. / Il le ferait mourir au milieu des tourments. / Le prince fut exempt de s’en donner la peine ; / Car l’ouvrier industrieux, / Avant la fin de la semaine, / Fit apporter l’ouvrage précieux, / Si beau, si vif, si radieux, / Que le blond époux de Climène, / Lorsque sur la voûte des cieux / Dans son char d’or il se promène, /D’un plus brillant éclat n’éblouit pas les yeux. »
« Elle entrait dans sa chambre, et, tenant son huis clos, / Elle se décrassait, puis ouvrait sa cassette, / Mettait proprement sa toilette, / Rangeait dessus ses petits pots. / Devant son grand miroir, contente et satisfaite, / De la lune tantôt la robe elle mettait. / Tantôt celle où le feu du soleil éclatait. / Tantôt la belle robe bleue / Que tout l’azur des cieux ne saurait égaler ; / Avec ce chagrin seul que leur traînante queue / Sur le plancher trop court ne pouvait s’étaler. / Elle aimait à se voir jeune, vermeille et blanche / Et plus brave cent fois que nulle autre n’était. »
« On lui donna le temps de prendre un autre habit. / De cet habit, pour la vérité dire, / De tous côtés on s’apprêtait à rire ; / Mais lorsqu’elle arriva dans les appartements, / Et qu’elle eut traversé les salles / Avec ses pompeux vêtements / Dont les riches beautés n’eurent jamais d’égales ; / Des dames de la cour et de leurs ornements / Tombèrent tous les agréments. »
Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre de Charles Perrault, in Contes du temps passé.
« Cependant Cendrillon, avec ses méchants habits, ne laissait pas d’être cent fois plus belle que ses sœurs, quoique vêtues très-magnifiquement. »
« Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits & les coiffures qui leur siéraient le mieux ; nouvelle peine pour Cendrillon, car c’était elle qui repassait le linge de ses sœurs et qui godronnait leurs manchettes : on ne parlait que de la manière dont on s’habillerait. Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre. Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire ; mais, en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or, & ma barrière de diamants, qui n’est pas des plus indifférentes. On envoya quérir la bonne coiffeuse pour dresser les cornettes à deux rangs, & on fit acheter des mouches de la bonne faiseuse. Elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, & s’offrit même à les coiffer, ce qu’elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient, Cendrillon, serais-tu bien aise d’aller au Bal : Hélas ! Mesdemoiselles, vous vous moquez de moi, ce n’est pas là ce qu’il me faut : tu as raison, on rirait bien si on voyait un Cucendron aller au bal. Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers ; mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien. »
« Ensuite elle lui dit, va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir ; apporte-les moi, elle ne les eut pas plutôt apportés que la Marraine les changea en six Laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse avec leurs habits chamarrés, & qui s’y tenaient attachés, comme s’ils n’eussent fait autre chose de toute leur vie. La Fée dit alors à Cendrillon : Hé bien ? voilà de quoi aller au bal, n’es-tu pas bien aise ? Oui, mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits : Sa Marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, & en même temps ses habits furent changés en des habits de drap d’or & d’argent, tout chamarrés de pierreries : elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. »
« Toutes les Dames étaient attentives à considérer sa coiffure & ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, de semblables, pourvue qu’il se trouva des étoffes assez belles & des ouvriers assez habiles. »
« Là-dessus arriva la Marraine, qui, ayant donné un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres. »
« MORALITÉ // La beauté, pour le sexe, est un rare trésor ; / De l’admirer jamais on ne se lasse ; / Mais ce qu’on nomme bonne grâce / Est sans prix, et vaut mieux encore. // C’est ce qu’à Cendrillon fit avoir sa Marraine, / En la dressant, en l’instruisant, / Tant et si bien qu’elle en fit une Reine : / (Car ainsi sur ce conte on va moralisant.) // Belles, ce don vaut mieux que d’être bien coiffées : / Pour engager un cœur, pour en venir à bout, / La bonne grâce est le vrai don des Fées ; / Sans elle on ne peut rien, avec elle on peut tout. »