Dior du rêve au cauchemar

De plus en plus d’expositions temporaires de musées publics dédiés à l’histoire de la mode ressemblent à des réclames pour des maisons de couture actuelles. En voici quelques exemples parmi d’autres ces dernières années (du coup moi aussi j'en parle !?!!) : Balenciaga (avril – octobre 2012 et mars – juillet 2017 au Musée Galliera à Paris, avril – septembre 2015 au Musée de la dentelle et de la mode de Calais et de mars à juillet 2017 au Musée Bourdelle à Paris), Lanvin (mars à août 2017 au Musée Galliera), Azzedine Alaïa (septembre 2013 – janvier 2014 au Musée Galliera), Iris van Herpen (juin 2013 – avril 2014 au Musée de la dentelle et de la mode), Carven (janvier – juin 2002 au Musée Galliera), Givenchy (juin – décembre 2017 au Musée de la dentelle et de la mode), Jean-Paul Gaultier (avril – août 2015 au Grand-palais de Paris). Le Musée Galliera fait même la promotion du groupe de presse américain Condé Nast dans une exposition de mars – mai 2014 ! Ce musée, qui est un de ceux sur lesquels la Mairie de Paris a le plus investi pécuniairement ces dernières années, se fait le spécialiste de ce genre. En tout cas ce n'est pas moi que l'on pourrait soupçonner de recevoir des valises de billets de banque !!

Certaines de ces expositions font le tour du monde !

La maison Dior fait aussi discrètement sa publicité dans des musées publics, en ce moment et jusqu’au 1er octobre 2017 au Musée international de la parfumerie de Grasse et du 5 juillet 2017 au 7 janvier 2018 aux Arts Décoratifs de Paris. Je ne voulais pas parler de tout cela, car j’en ai franchement marre de me faire écho de ce fatras. Cependant, j’ai reçu deux messages de la maison Dior, l’un sur son exposition aux Arts déco : Christian Dior, couturier du rêve, et un autre qui finalement me fait réagir (cliquer ici), où là c'est plutôt le cauchemar non ? La mode vestimentaire française vit sur son patrimoine et son prestige tout en les détruisant... mais jusqu'à quand ??

C’est bien que ces entreprises marchent. Et puis je n’ai pas à dire ce qui est bien ou pas en ce qui concerne la mode vestimentaire. Ce qui me gêne, c’est que des musées publics de la mode oublient trop souvent ce qu’est véritablement la mode et son histoire, et qu’ils aident les entreprises qui en ont le moins besoin. La mode est une chose bien plus complexe et riche que le prêt-à-porter peut nous le laisser croire. Je dis « prêt-à-porter » car la haute-couture n’existe plus. Les maisons dites de « haute couture » font du prêt-à-porter, et sont souvent de véritables sociétés faîtières internationales, regroupant des participations dans diverses sociétés, comme la maison Dior qui comprend des entreprises de parfums (du temps même de Christian Dior), cosmétiques, bijoux, maroquinerie, vins, spiritueux, etc. Quant à LVMH, qui aurait acheté dernièrement cette 'maison' pour 6,5 milliards d'euros, c'est une multinationale.

PS : Je viens d'apprendre que le directeur du Musée Galliera vient de rejoindre le privé, devenant directeur artistique d'une entreprise française internationale de chaussures de luxe. On comprend mieux ses ambitions et pourquoi ce musée, ces dernières années, a été la vitrine des fabricants de 'haute-couture', et n'a proposé presque que des expositions sur la mode vestimentaire du XXe siècle, laissant de côté tous les siècles précédents, pourtant beaucoup plus productifs et créatifs.

Depuis 2002, sur 28 expositions organisées par le musée Galliera seulement 6 ont présenté des costumes d'avant la fin du XIXe siècle (voir ici), et toutes ne parlent presque qu'exclusivement de costumes, alors que la mode c'est aussi bien d'autres choses (musiques, manières, moeurs, danses nouvelles, etc.). Voici les expositions organisées par ce musée ces quinze dernières années :
- Costumes espagnols entre ombre et lumière (XVIIIe - XXe)
- Dalida, une garde-robe de la ville à la scène
- Balenciaga, l'oeuvre au noir
- Anatomie d'une collection (couvrant du XVIIIe s. à nos jours avec un hommage rendu à Sonia Rykiel).
- La Mode retrouvée (sur la comtesse Greffulhe : 1860 - 1952)
- Jeanne Lanvin
- Fashion Mix
- Les Années 50
- Papier glacé (Condé Nast de 1918 à nos jours)
- Roman d'une garde-robe (début XXe)
- Alaïa
- 1931, face-dos-profil
- Paris Haute Couture
- Mannequin - le corps de la mode
- Cristóbal Balenciaga, collectionneur de modes
- Comme des Garçons White Drama
- Le XVIIIe au goût du jour
- Madame Grès, la couture à l'œuvre
- Sous l'Empire des crinolines (1852 - 1870)
- Les Années Folles 1919 - 1929
- Gallierock
- Showtime, le défilé de mode
- Modes en Miroir, la France et la Hollande au temps des Lumières (XVIIIe siècle)
- Sylvie Vartan, Revue de mode
- Ouverture pour inventaire (du XVIIIe siècle à nos jours)
- Marlène Dietrich, création d'un mythe
- Henry Clarke, photographe de mode
- Madame Carven, Grand Couturier

Faut-il rappeler que la mode existe depuis la plus haute Antiquité, et que le terme même a, depuis son origine romaine, à peu près la même définition qu'aujourd'hui ? La mode ne naît pas, comme l'ont dit certains conservateurs contemporains de musées, avec la haute-couture et le prêt-à-porter, à la fin du XIXe siècle. Au contraire, ceux-ci marquent la fin du sur-mesure pour tous et des fabrications 'maison', et donc d'une création bien plus démocratique car dans les mains de tous. Ils sont aussi les témoins de la fin des fabrications françaises au profit d'une industrialisation internationale de la mode vestimentaire. De nos jours, les vêtements dits 'fabriqués en France' n'ont souvent que l'étiquette qui l'est véritablement ! Dans la mode, comme pour le reste, nous sommes en France dans le façadisme.

Merveilleuses & merveilleux