Le Musée Cognacq-Jay, le musée du XVIIIe siècle de Paris, nous gratifie d’une nouvelle exposition sur les fêtes vénitiennes et leurs représentations (peintures, dessins et gravures d’époque) intitulée Sérénissime ! Venise en fête, de Tiepolo à Guardi, du 25 février au 25 juin. Elle débute en pleine période des Sept jours gras qui se termine avec Mardi Gras, cette année le 28 février, et le Carnaval encore présent dans quelques régions de France et autrefois très populaire, notamment à Paris.
Les œuvres présentées viennent toutes de l’extérieur. On les découvre avec bonheur. Les vedute (vues générales de paysages urbains très appréciées dans l’Italie du XVIIIe siècle et en particulier à Venise) permettent de se faire une idée assez précise de moments festifs, qu’elles mettent en scène et en perspective parfois d’une manière magistrale. Des photographies d'exemples de celles-ci sont visibles plus loin. Elles grouillent de détails et se lisent comme la page d’un folio pouvant se commencer à n’importe quel mot et se faire suivre par n’importe quel autre, pour au final donner à voir une histoire chaque fois merveilleuse, en particulier pour le regard contemporain qui peut ainsi se plonger dans un autre lieu, un autre temps et une autre atmosphère : un lieu féerique Venise, un temps grandiose le XVIIIe siècle et une atmosphère de fêtes dont les vénitiennes sont un exemple d’apothéose. Les vedute sont telles des symphonies ou des représentations théâtrales comme savaient en faire le monde antique gréco-romain, c’est-à-dire de grandiose poésie.
Contempler de visu ces œuvres est important, en particulier pour les peintures. Une nouvelle fois j’ai été étonné par la différence entre les iconographies proposées par le service de presse du musée, pourtant d’une très grande qualité et permettant de voir tous les détails, et le tableau lui-même, où l’on ressent dans chaque touche de peinture le rythme donné par l’artiste, rythme d’autant plus important pour la peinture italienne toute en musique, pour des sujets qui sont tout autant musicaux. C’est le cas par exemple pour le tableau ci-dessous de Giandomenico Tiepolo.
Photographie de gauche : Détail « Pietro FALCA dit Pietro LONGHI (Venise, 1702-1785). Le Charlatan, vers 1757. Huile sur toile. Toulouse, Fondation Bemberg, inv. 1029. CREDIT : Fondation Bemberg, Toulouse. Photo RMN - Grand Palais /Fondation Bemberg / Mathieu Rabeau. »
Photographie ci-dessous : « Giandomenico TIEPOLO (Venise, 1727-1804). Le Triomphe de Polichinelle, 1753-1754. Huile sur toile. Copenhague, Statens Museum for Kunst, inv. kms3830. CREDIT : © SMK. »
Photographie ci-dessous à droite : Détail « Pietro FALCA dit Pietro LONGHI (Venise, 1702-1785). Le Concert, 1741, Galleria dell'Academia, Venise inv. cat 466. © Archivio fotografico Gallerie dell’Accademia, "su concessione del Ministero dei beni e delle attività culturali e del turismo. Museo Nazionale Gallerie dell’Accademia di Venezia". »
Vous savez que j’affectionne tout particulièrement les atmosphères de fêtes et de déguisements, la mode française y trouvant là une grande partie de son inspiration. Je crois aussi que la ‘philosophie’ de la représentation, sous-jacente à la pratique religieuse depuis l’Antiquité, est une clé de sagesse, une porte ouverte vers la beauté et la libération des chaînes de la vie et de la pesanteur des dogmes et autres règles sociales rigides.
Dans les vedute, cette représentation est aussi musique. Il s’agit d’une véritable orchestration, formée de deux chœurs principaux, qui comme dans le théâtre antique (les chœurs dionysiaques sont à l’origine de la représentation dramatique) se répondent. D’un côté il y a la composition, ou plutôt la mise en scène de la fête elle-même et du moment choisi par l’artiste. De l’autre il y a la mise en scène de ce dernier. Deux fantaisies, deux perspectives, deux cœurs, deux chœurs s’interpénètrent pour ne former plus qu’une symphonie.
L’exposition rappelle du reste l’importance du théâtre et de la musique dans ces fêtes, avec un portrait de Goldoni et un autre de Carlo Broschi dit Farinelli, un chanteur castrat très célèbre en son temps. En découvrant ce portrait, ne sachant pas de qui il était, j’ai été quelque peu interloqué par son visage poupin, pâle, avec de grands yeux noirs et une petite bouche gracile. Tout cela me donnait une impression étrange. C’est sur sa bouche délicate que mon regard est resté figé, sans que je sache pourquoi. Maintenant je sais !
Plus de quarante peintures, gravures et dessins, provenant de collections européennes prestigieuses sont donc exposés, redonnant vie aux fastes de la Sérénissime, République de Venise au XVIIIe siècle. Sérénissime est le surnom donné à Venise, pour sa sublime beauté et sérénité, et pour son caractère princier : digne des plus grands princes.
Même si l'espace consacré aux expositions temporaires est assez restreint, cela vaut le déplacement. On peut ensuite déambuler dans le musée où un couple de masques (personnages déguisés pour le carnaval) vénitiens est reconstitué, où l'on retrouve un XVIIIe siècle de plaisir, de beauté, de musique, de théâtre et de danse, et finalement conclure en se déguisant soi-même en personnages de la commedia dell'arte tels Polichinelle ou le Médecin, ou encore se glisser dans la panoplie d'un mystérieux 'masque' vénitien.
L’exposition suit quatre thématiques liées aux fêtes vénitiennes qui se confondent dans le parcours. La première est sur les fêtes privées comme Il Ridotto. La seconde s’intéresse aux spectacles tels le théâtre et l’opéra. La troisième souligne le faste et les mises en scène grandioses des fêtes par les pouvoirs en place afin d’étaler leurs puissance et richesses. Enfin le quatrième sujet est celui du carnaval vénitien, institué au Moyen Âge et toujours de grande actualité aujourd’hui. Une passionnée me disait qu’on y trouve énormément de Français déguisés. Comme je viens de vous le dire, des déguisements il y en a quelques-uns au dernier étage du musée. Profitez-en pour prendre votre appareil photo et vous vêtir en masque comme je l’ai fait.
Le carnaval vénitien était tout autant ouvert à tous qu’il l’est aujourd’hui. Il se subdivisait en de nombreuses manifestations : cérémonies, bals, concerts, opéras, aussi bien publiques que privées, chez des nobles ou dans des cafés et autres tavernes, etc. Venise toute entière était à la fête, comme Paris à la même période. C’était un moment de profond délassement, de liberté apportée grâce au masque et aux habits qui couvraient entièrement le corps, pouvant ne laisser rien entrevoir de qui les porte.
Rappelons qu’autrefois en Italie, comme en France, les périodes de festivités étaient bien plus nombreuses qu’aujourd’hui, et cela depuis la plus haute Antiquité. Comme je l’écris dans mon livre sur Les Petits-maîtres du style, de l’Antiquité au XIe siècle, à Rome la fête était permanente : « On distingue les fêtes ‘individuelles’ (entre amis, familiales, etc.), les jeux (les ludi) qui sont annuels (à la fin de la République on en compterait huit, répartis sur 77 jours chômés, et sous l’Empire jusqu’à 175 jours consacrés à de telles réjouissances) et les ludi votivi qui n’ont lieu qu’une fois afin de célébrer par exemple une victoire, et dont certains peuvent durer plus de cent jours. » Oui à ces époques on ne pensait pas à combien coûte un jour chômé !
La topographie même de Venise constituée de nombreuses petites îles et donc traversée de multiples canaux, son architecture ancienne et sa richesse en faisait un lieu très romantique, dédié aux plaisirs et aux réjouissances et très prisé par les étrangers ‘petits’ ou ‘grands’ qui pouvaient, en particulier jusqu’au XVIIIe siècle, y goûter les délassements les plus primaires tout autant que les plus raffinés, d’y trouver des galanteries et des spectacles de haut goût.
L’exposition présente plusieurs vedute de la place Saint-Marc et du Grand canal, concentrant les manifestations publiques les plus somptueuses durant les fêtes vénitiennes. Plusieurs rappellent l’importance de la fête de la Sensa, réjouissance en hommage à la mer, où la fête se déployait en particulier sur l’eau avec les parades de vaisseaux de chefs politiques et ecclésiastiques vénitiens et de leurs hôtes étrangers. Les Français, qui comme les Italiens avaient le goût de la démonstration, participèrent à certaines de ces fêtes avec un enthousiasme que des peintures décrivent pour notre ravissement. Même les événements étrangers à Venise étaient un prétexte à fêtes. Le tableau ci-dessous reproduit la commémoration de l’ambassade de France, en mai 1745, du mariage célébré le 23 février entre le dauphin Louis et l’infante Marie-Thérèse d’Espagne, avec comme maître de cérémonie le comte de Montaigu, ambassadeur de Louis XV. Photographies : « Giovanni Battista CIMAROLI (1687-1771), Célébrations pour le mariage du dauphin Louis avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne au palazzo Surian, ambassade de France à Venise, en mai 1745, vers 1745 © Lampronti Gallery, London. »
La veduta ci-dessous est celle de l’entrée de Napoléon à Venise, remontant le Grand Canal. On y contemple le grand canal et ses architectures, la régate, le cortège impérial, les soldats français formant une immense haie d'honneur, les spectateurs, etc. Les bateaux sont somptueux, dont celui passant sous l’arc de triomphe, ayant à sa proue une Victoire d’or, deux cornes d’abondance et un gigantesque bouquet, de plus de cinq mètres de haut, au tiges d’or et aux fleurs monumentales, blanches. Photographies : « Giuseppe BORSATO, L’empereur Napoléon Ier préside la régate à Venise le 2 décembre 1807, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV. 1447. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux. »
Donc Bonnes Fêtes de Pâques et Bon Carnaval !
Je suis sûr que la seule chose réelle en ce monde est la distraction. Le reste est vain. Pourtant certains prétendent le contraire.
Ci-dessous des photographies que j’ai prises de l’exposition.
Au sujet des œuvres du XVIIIe siècle du Musée Cognacq-Jay, il est possible d’en consulter une grande partie sur ces pages :
http://museecognacqjay.paris.fr/fr/la-collection/
http://www.museecognacqjay.paris.fr/fr/fiches-de-salles-des-collections-permanentes
Ce dernier lien offre un descriptif détaillé des œuvres contenues dans chaque salle de la collection permanente du musée.