Madame le sénateur Leila Aïchi a présenté le 8 juillet 2015, au nom de la commission d’enquête sur le Coût économique et financier de la pollution de l’air, un rapport (n°610) intitulé Pollution de l'air : le coût de l'inaction. Le tome I (le rapport en lui-même) est visible ici, et le tome II (constitué des procès-verbaux des auditions de la commission d'enquête) ici. Une note de synthèse est consultable ici.
Ce texte est particulièrement intéressant, car il révèle combien en aidant ou laissant des secteurs de l'économie polluer pour des raisons pécuniaires, on perd considérablement plus d'argent du fait des problèmes que cette pollution occasionne.
Une partie de ce rapport touche directement mon blog car mettant en valeur le coût de la pollution de l'air sur la dégradation et l’érosion des bâtiments, en particulier anciens.
Par exemple les murs extérieurs du palais du Luxembourg du XVIIe siècle, où se trouve le Sénat, ont été plusieurs fois changés entièrement, pierre par pierre, façade après façade. Il y a quelques années je demandais à un des architectes en charge de ce bâtiment pourquoi le nettoyage d'une des façades de cet édifice était si long, il m'a répondu que c'était parce que chaque pierre était remplacée. Heureusement ce n'est pas toujours le cas pour les restaurations extérieures de bâtisses anciennes... mais même laver des façades a un coût. De plus, les dommages occasionnés par les pluies acides ou le CO2, pour ne citer que quelques polluants, sont irréversibles. Les pierres des bâtiments ne sont bien sûr pas les seules à être ainsi abîmées : les reliefs, sculptures et statues sont grandement atteints par la pollution. Le patrimoine ancien extérieur est ainsi mis en danger. Il est parfois pathétique de voir une statue de calcaire toute noire, puis une fois lavée, rongée. La pollution agit aussi à l'intérieur, sur les livres, les œuvres d’art fragiles etc.
Voici deux passages de ce rapport :
« L’impact de la pollution sur le bâti par exemple, dépend du degré de sulfatation ou de carbonatation des matériaux. A ce jour, selon les informations fournies par AirParif, trois fonctions dose-réponse concernant les matériaux du patrimoine bâti ont été établies à l’occasion de grands programmes de recherche internationaux. Une première relie la perte de masse des calcaires exposés à la pluie à la quantité et à l’acidité de celle-ci, ainsi qu’à la teneur de l’air en SO et acide nitrique ; une seconde relie la perte de transparence du verre à la teneur de l’air en suies, en SO et en NO ; une dernière relie la perte superficielle des vitraux anciens en potassium et calcium à l’humidité relative de l’air et à sa teneur en SO et NO. En revanche, l’impact d’autres types de polluants comme ceux émis par les transports routiers, notamment les oxydes d’azote et les particules fines constitue une inconnue importante. Enfin, une étude établissant une projection pour la fin du XXIème siècle, montre que la dissolution des façades par les eaux chargées de CO devrait augmenter pour devenir supérieure à celle due au SO et aux pluies acides, aussi bien dans les zones urbaines que rurales. Les concentrations atmosphériques en CO deviendraient le facteur principal d’érosion des façades des bâtiments en calcaire.
Outre l’impact de la pollution de l’air sur le bâti, qui est ancienne comme en témoignent les dégradations de certains bâtiments historiques, d’autres impacts doivent aujourd’hui être pris en compte. »
« 2. La dégradation des bâtiments
La pollution de l’air, et en premier lieu la pollution particulaire, est responsable de détérioration des façades des bâtiments. Les dégradations sont tant esthétiques (encrassement, dépôts noirâtres) que physiques, du fait de l’érosion des matériaux et de leur sulfatation ou de leur carbonation. Comme l’indique l’association Airparif, la surface de tous les matériaux peut se couvrir de suies noires : la pierre, le ciment, le béton, la brique, la céramique ou encore le bois.
Ces altérations concernent en particulier les monuments du patrimoine, plus fragiles et donc plus exposés aux conséquences néfastes des polluants. Afin de mesurer le rôle des différents polluants et du climat dans l’altération des matériaux du patrimoine, un projet européen a débuté en 2011 qui modélise sur des échantillons les processus d’altération. Comme l’indique le laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques (LISA) qui participe à ce projet, « les modifications physico-chimiques des propriétés de surface et de subsurface des matériaux et les dépôts de surface entraînent des transformations quasi-irréversibles ».
Ainsi, il existe deux principaux types de coûts associés à l’impact de la pollution de l’air sur les bâtiments : un coût tangible, d’une part, lié à la rénovation périodique des façades du fait de leur encrassement et de leur érosion, et un coût intangible, d’autre part, lié à la dégradation esthétique des bâtiments, et en particulier des bâtiments patrimoniaux. En effet, les individus accordent une valeur économique significative au patrimoine culturel. C’est le cas par exemple des vitraux anciens, qui subissent une corrosion liée aux polluants de l’air.
Ce coût, difficile à mesurer, n’a fait l’objet que de peu d’études. Mais les quelques chiffrages réalisés indiquent qu’il est loin d’être négligeable. En outre, ce coût est à la fois imputable à la pollution de l’air actuelle et des dégradations qu’elle provoque, mais aussi de la pollution de l’air passée, qui a pu s’incruster dans les façades des bâtiments. Votre commission d’enquête a ainsi était informée d’une situation très préoccupante : des particules de plomb piégées dans les bâtiments anciens sont libérées lors des travaux de rénovation et provoquent une pollution importante, qui met en danger la santé des travailleurs qui y sont directement exposés. Des mesures de protection des travailleurs doivent ainsi être mises en place lors des réfections, avec un coût élevé. Par exemple le coût de la rénovation du Panthéon imputable à la pollution de l’air et de la protection des travailleurs exposés au plomb est d’environ 890 000 euros, soit dix fois le budget initialement prévu pour la rénovation des façades.
a) L’étude Cafe
L’étude menée dans le cadre du programme Cafe a cherché à évaluer le coût de l’impact de la pollution de l’air sur le bâti. Elle relève tout d’abord un certain nombre d’effets néfastes, comme la corrosion des pierres, de métaux et des peintures, la corrosion du patrimoine culturel, les dommages provoqués par l’ozone sur les matériaux polymères ou encore la salissure des bâtiments.
Pour l’ensemble des 25 pays européens étudiés, elle chiffre le coût total de ces dégradations à 1,1 milliard d’euros.
b) L’étude Infras/IWW
Une étude menée par l’Institut de recherche et de conseil Infras et l’Institut für Witschaftspolitik und Wirtschaftsforschung (IWW) de l’Université de Karlsruhe de 2000 a cherché à procédé à une évaluation du coût externe associé aux transports, pour les pays d’Europe occidentale. Dans ce cadre, elle a pris en compte les coûts représentés par la dégradation des bâtiments. Pour cela, elle s’est référée à une première étude, menée par l’Infras en 1992 sur le coût de la pollution de l’air due aux transports en Suisse. Actualisée en 2014, cette étude a estimé que le coût lié à la dégradation des bâtiments du fait de la pollution de l’air issue des transports à 362 millions de francs suisses par an.
L’étude Infras/IWW a extrapolé ces résultats sur les autres pays européens, en prenant en compte les taux d’émission, la taille du pays ou la population, et en a conclu qu’environ 18 % des coûts associés à la pollution de l’air due aux transports était lié aux dommages des bâtiments (contre 81 % pour les coûts sanitaires et 1 % du fait des pertes de rendement agricole). Pour la France, l’étude retient un coût global associé à la pollution de l’air due aux transports de 19 milliards d’euros par an, et donc un coût lié aux dommages des bâtiments d’environ 3,4 milliards d’euros en 2000.
Le Plan régional de la qualité de l’air d’Île-de-France élaboré en 2000 évalue pour sa part le coût de rénovation des bâtiments publics d’Île-de-France entre 1,5 et 7 milliards de francs, soit, si l’on retient l’estimation la plus élevée, plus d’1 milliard d’euros par an. »
Je ne mentionne pas évidemment les dégâts sur l'humain...