Photographies 1 à 4 du dessus : Poème Les Baisers, 1777. ici sont présentées deux éditions de la même année avec un frontispice différent.
Photographie 5 à gauche : « Le premier baiser de l'amour » (Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Héloïse). Estampe de la fin du XVIIIe siècle ou du début du XIXe gravée à partir d'un dessin de Pierre Paul Prud'hon (1758-1823) réalisé entre 1792 et 1799.
Jusqu'aux années 1980 on se biche beaucoup dans les rues de Paris : se colle, s’embrasse ... pratique presque totalement abandonnée à la fin du XXe siècle. J'explique ce terme dans l'article Biches, haute bicherie, bicheuses et daims. Les amoureux se tiennent par la main ou serrés l'un contre l'autre et s'embrassent dans de longs baisers sur la bouche, aux terrasses des cafés, sur les bancs … et même dans la rue. La photographie de Robert Doisneau (1912 - 1994) prise en 1950 et intitulée Le Baiser de l'hôtel de ville en est un célèbre exemple (voir ici). Le terme utilisé de 'baiser' est significatif, et en verbe signifie tout simplement : faire un bisou, toucher de ses lèvres une joue, une main, une bouche … C'est du moins de cette façon qu'il est utilisé jusqu'au XXe siècle. Aujourd'hui on n'oserait pas employer ce verbe comme on le fait autrefois. On lui préfère celui d'embrasser qui veut pourtant dire : 'tenir dans ses bras'. J'ai écrit il y a longtemps un rapide article sur Les Baisers.
Photographies 6 et 7 : « Le baiser à la capucine ». Estampe du XIXe siècle. Cela consiste à embrasser un partenaire en lui tournant le dos et en lui tenant les mains : voir photographies. En France il existe de nombreux jeux pour jeunes personnes ayant pour thème le baiser. Plusieurs gravures du début du XIXe siècle en donnent des exemples : Le baiser deviné (discerner qui embrasse alors que les yeux sont clos), Baiser son ombre (une jeune femme se place entre un mur et une lumière afin d'embrasser son ombre alors qu'un jeune homme essaie de se mettre entre), Baiser le dessous du chandelier (un jeu de baisers qui implique des chandeliers), Le baiser à la religieuse (s'embrasser à travers les barreaux d'une chaise) etc. Plusieurs de ces amusements sont décrits dans le livre d'Eugène Rolland intitulé Rimes et jeux de l'enfance (Maisonneuve, 1883).
Au XVIIIe siècle, 'baiser' consiste donc à donner des baisers, et 'embrasser', à tenir dans ses bras. On baise par amitié, amour, ou respect. On baise donc beaucoup. Un baiser célèbre est celui de Le Livre du voir dit (vers 1364) de Guillaume de Machaut (1300-1377). L'auteur donne rendez-vous à son aimée dans un verger. Son secrétaire est présent. Alors que le couple est assis sur l'herbe, la jeune fille s'endort sur la poitrine de son amant. Le secrétaire en profite pour s'amuser en allant cueillir une petite feuille ; et en la posant sur la bouche de la jeune fille. Il invite son maître à baiser seulement la plante. Celui-ci s'accomplit timidement par jeu. Lorsqu'il va pour la toucher de ses lèvres, le secrétaire retire la feuille pour que le baiser aille à l'amante qui se réveillant, ou prétextant de se réveiller, commence à gentiment gronder son compagnon avant de se mettre à sourire … « ce qui me fit imaginer et certainement espérer que cela ne lui déplaisait pas. ». Voici le texte de ce passage en ancien français et sa traduction :
« Sur l'erbe vert nous seymes ; Alors que nous étions sur l'herbe,
La maintes paroles deymes Nous nous dîmes de nombreuses choses
Que je ne veuil pas raconter ; Dont je ne veux pas rendre compte,
Quar trop long seroit à compter. Car cela serait trop long de le faire.
Mais sur mon giron s'enclina Par contre, quand se penchant vers moi
La belle, qui douceur fine ha ; La belle qui est si douce,
Et quant elle y fut enclinée, Se mit sur mon coeur,
Ma joie fu renouvelée. Je retrouvais une nouvelle joie.
Et ne sai pas s'elle y dormi, Je ne sais si elle s'endormit
Mais un po somillia sur mi. Ou ne fit que se reposer sur moi.
Mes secrétaires, qui fu la, Mon secrétaire qui assistait à la scène
Se mist en estant et ala Se mit dans l'idée d'aller
Cueillir une verde feuillette Cueillir une petite jeune feuille
Et le mist dessus sa bouchette, Pour la mettre sur sa bouche ;
Et me dist : baisiés ceste feuille. Et me dit « Baisez cette feuille. »
Adonc amour, veuille ou non veuille, Ainsi amour, que je veuille ou non,
Me fist en riant abaissier Me proposait en riant, seulement
Pour ceste feuillette baisier. De baiser cette jeune feuille.
Mais je n'i osoie touchier, Mais je n'osais le faire.
Comment que je l'eusse moult chier. Même si cela me coûtait.
Lors désirs le me commandoit, Finalement le désir m'inspira
Qu'à nulle riens plus ne tendoit. Que cela ne compterait pas.
Mais cilz tira la feuille à li ; Cependant il retira la feuille
[Pour la suite de cette citation je n'ai pas réussi à traduire]
Dont j'eus le viaire pali ;
Car un petit fu paoureus
Par force de mal amoureus.
Non pourquant à sa douce bouche
Fist lors une amoureuse touche :
Car je y touchai un petiot.
Certes unques plus fait n'i ot :
Mais un petit me repenti,
Pour ce que quant elle senti
Mon outrage et mon hardement,
Elle me dit moult doucement :
Amis, moult estes outrageus.
Ne savez vous nulz autres jeus ?
Mais la belle prist à sourire
De sa très belle bouche au dire ;
Et ce me fist ymaginer
Et certainement esperer
Que ce pas ne li desplaisoit.
Quelques jolies images de baisers : Faïence en lustre métallique (XVIe siècle) de Deruta, Le baiser d'après Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Déjeuner en tête à tête de Nicolas Lawreince le Jeune (1737-1807), Psyché ranimée par le baiser de l'Amour de Canova Antonio (1757-1822), Le baiser (début XIXe), Baisez Maman (début XIXe), Couple d'amoureux aux Champs-Elysées (1932), Photographie de 1958 …
© Article et photographies LM