Photographie de gauche : Image prise sur le boulevard Saint-Germain à Paris. Sous le goudron des pavés d'une autre époque.
Je n'aime pas critiquer ... mais voilà je suis inquiet. J'espère que cette inquiétude est irraisonnée et que je me fais des idées. Je l'espère sincèrement. Mais chaque fois que je passe derrière l’Hôtel Salé en vélo, j'ai des doutes. J'ai d'abord vu ce bâtiment parisien du XVIIe siècle consolidé de planches, puis avec des grues, tout le jardin envahi par les travaux ...
Ces travaux ont commencé en septembre 2011 et devaient durer 20 mois, donc se terminer au mois de mai 2013. Puis on a appris qu'ils allaient se prolonger une année de plus jusqu'en juin 2014. Et là, à nouveau c'est repoussé à septembre 2014.
Je voulais attendre de voir de visu à l'intérieur avant de dire quoique ce soit. Mais là cela commence à me sembler long. La directrice du musée a prévenu : le bâtiment « a vécu une révolution. Tout est neuf, tout est repeint, tout est rénové, tout marche ». Il a été prévu la « restructuration, modernisation et restauration » du lieu. Les plans avant et après visibles ici sont sans appel. On a cassé des murs, en fait d'autres, détruit et reconstruit des pans entiers sur plusieurs étages.
Ce genre de ‘rénovation’ c’est un peu comme restaurer un tableau du XVIIe siècle en changeant certaines parties mais en gardant le style, en enlevant d’autres pour les remplacer par des dessins à la Picasso et en l’agrandissant toujours avec de la peinture du style du peintre espagnol. Tout le monde trouverait cela choquant. Mais pour un bâtiment du XVIIe siècle, on ne trouve rien à redire sur le fait qu’on mélange de l’architecture du XXIe siècle à celle du XVIIe. Peut-être est-ce parce que ce n’est pas apparent au premier coup d’œil, le volume extérieur semblant rester le même, et que ensuite le fait d’être dans la ‘toile’ empêche une vue objective et distancée.
C'est invraisemblable ce qu'on peut traficoter dans un bâtiment XVIIe sans que cela semble gêner grand monde. Par contre si le péquin du coin qui habite un petit appartement des années 70 de la mairie de Paris souhaite installer une climatisation pour la conservation de ses livres et gravures anciens on le lui interdit sous prétexte qu'il ne faut pas faire un trou dans le mur et installer une sortie d'évacuation de l'air sur son balcon pour cause esthétique !
L'un des deux architectes en charge de cette 'prouesse' Hôtel Salé est un architecte en chef des Monuments Historiques !
Paris est aujourd'hui noyé dans le béton et le goudron. Ces derniers années le nombre de travaux destructeurs est réel. Dans les journaux on parle de 'rénovations'.
Photographie de droite : Hôtel Lambert recouvert. Cliché pris au début du mois d'avril 2014. Jusque sa 'réhabilitation', c'était un des rares bâtiments du XVIIe siècle conservé presque intact à l'extérieur comme à l'intérieur (peintures, sculptures ...). Qu'est-il en train de devenir ?
L'Hôtel Tubeuf (site Richelieu de la Bibliothèque nationale) et l'Hôtel Lambert, sont en chantier qui tous s'éternisent étrangement. Là il est prévu de détruire un escalier monumental du XIXe siècle, ici de faire un ascenseur pour voitures (qui n'aura pas lieu grâce non pas aux architectes des monuments de France mais à une association) etc. Tous ces travaux sont soigneusement cachés derrière des échafaudages bâchés.
La Tour Eiffel a été en partie modernisée (suppression et vente aux enchères d'escaliers), mise en place d'un parquet de verre au premier étage etc.
Et puis il y a la Samaritaine, inscrite au titre des Monuments historiques, qui est en train d'être entièrement détruite pour construire « 26 400 m2 de commerce, 20 000 m2 de bureaux, une centaine de logements sociaux, une crèche de 60 berceaux et un hôtel de luxe Cheval Blanc derrière la façade Art déco sur la Seine. » (Source Le Monde).
Plusieurs bâtiments Art-nouveau et Art-déco dans Paris ont déjà été démolis. Les architectes des bâtiments de France demandent que seules les façades soient conservées. Tout est entièrement enlevé et remplacé à l'intérieur. Parfois les façades n'ayant plus leur support d'origine tombent en lambeaux et des filets sont installés pour que cela ne retombe pas sur des passants. De l'extérieur rien n'est visible ; mais à l'intérieur c'est de l'architecture RER.
Les inscriptions au titre des monuments historiques n'empêchent même plus les destructions. L'ensemble du Jardin des serres d'Auteuil y est inscrit, et pourtant le projet est d'en démolir une partie.
Tout cela se fait avec l'aval des ministères successifs de la Culture et de la Mairie de Paris.
Photographie de gauche : Image prise le 17 avril 2014 de l'immeuble Félix Potin (situé 140 rue de Rennes à Paris) datant de 1904. Il était composé de six étages décorés en style d'époque Art nouveau. Seules la façade et la toiture ont été classées. Quand il a été vendu à la fin du XXe siècle, tout a été détruit sauf le mur extérieur et la toiture ! L'intérieur est maintenant de style RER. Depuis plusieurs années, des filets ont été déposés afin de maintenir les parties fragiles encerclées d'un trait bleu dans la photographie. J'ai vu un autre bâtiment racheté par la même enseigne situé entre les rues du Pont-Neuf, de Rivoli et de la Monnaie à Paris, démoli de la même manière avec juste l'extérieur de conservé. C'était impressionnant de voir détruire l'intérieur et ne s'élever que le mur de façade avec derrière du vide, avant d'y reconstruire de manière moderne. La piscine Molitor, pourtant inscrite aux Monuments historiques, est un autre exemple. Voir cet article sur cet enfumage (on détruit tout, garde seulement un mur de façade et prétend qu'il s'agit d'une restauration). Après des articles et vidéos sont publiés pour dire que le bâtiment a été sauvé comme ici.
On sait que ces 'aménagements' ne sont pas faits pour durer … mais ils détruisent. Il suffit de voir les Halles, dont les travaux se sont terminés en 1985 (du pur style RER), considérées déjà comme vétustes 19 ans après. Le bâtiment est en train d'être remplacé par quelque chose d'aussi moche.
Il est nécessaire de témoigner de tout cela pour que ça s'arrête. Que va devenir le garde-meubles de Louis XV, ancien Hôtel de la Marine, maintenant que l'avenir du site est confié au Centre des monuments nationaux ?
Son jumeau à côté (Hôtel de Crillon), continuellement en travaux doit être sans doute lui aussi largement bétonné et plein d'ascenseurs, garages ... Certains de ces monuments sont privés comme l'Hôtel Lambert, l'Hôtel de Crillon ou le Lutétia, lui aussi en travaux.
Ces architectures faites pour que le public passe et consomme, et surtout ne s'arrête pas ou se rencontre, discute, s'apprécie, s'aime ... de la seconde moitié du XXe siècle et du XXIe, faisant penser aux couloirs du RER parisien, je les appelle des architectures RER. L’entrée du Musée du Louvre est le type même de ce genre : un hall de gare avec ses escaliers roulants, ses couloirs glacés et ses magasins.
© Article et photographies LM