La contredanse et la valse

Photographie : Illustration de la fin du XIXe siècle : « Un conducteur à la mode. - Ce serait avec un grand plaisir, Mesdames, mais je vous donne ma parole d'honneur que je suis excessivement enrhumé. »

La danse est un art que la plupart des petits maîtres maîtrisent, car elle a à voir avec le rythme. Comprendre celui-ci, c’est appréhender l’élégant, ses manières, son style, ses habits, son verbe. Sa finesse est celle d’une cadence recherchée d’un personnage qui joue chaque minute en révélant le rythme du moment et même de l'instant.

La danse couvre toute notre histoire et est un très vaste sujet. Dans Les Plaisirs des dames (1641), François Grenaille (1616-1680) consacre toute une partie au bal. Comme dans les autres chapitres, il expose sa thèse et son antithèse. Il décrit une salle avec ses flambeaux qui illuminent tellement qu’on se croirait en plein jour au milieu de la nuit, ses luths, ses violons … : " Vous voyez d’un côté de véritables Nymphes qui se meuvent avec tant de gravité qu’on les prendrait pour des Amazones, & avec tant d’agrément qu’on les prendrait pour les Grâces mêmes. Ce ne sont pas seulement leurs pieds & leurs mains qui se meuvent par des branles bien compassés ; leurs habits encore semblent avoir appris à suivre par art les mouvements de leurs corps. Ils s’enflent agréablement, par une ambition généreuse qu’ils semblent avoir d’imiter des sujets sensibles, tous insensibles qu’ils sont. Enfin on croirait à voir cette agitation extraordinaire, que ce ne sont pas des personnes communes qui dansent, mais des Sibylles miraculeuses. Mais on sort d’une si belle erreur quand on considère que les Dames ont plus là de douceur & de modestie, que ces anciennes Prophétesses n’avaient de fureur visible. Aussi n’est-ce pas un Dieu violent qui est agité, c’est plutôt le Dieu d’amour. Vous apercevez d’autre part d’illustres Scipions […] ils se meuvent adroitement. La gravité de leur mine nous fait penser qu’ils sont incapables de bien danser, & la légèreté de leurs mouvements nous semble persuader qu’ils ne sont graves qu’en apparence. […] Que dirais-je des autres hommes qui dansent ici avec une si belle disposition […] représentant l’agilité des bienheureux. […] on peut assurer véritablement des personnes dont je parle que ce sont des Mercures qui ont des ailes par tout le corps, & qui se tiennent moins sur la terre que dans l’air. L’industrie leur semble donner un avantage que la nature donne aux oiseaux, & ils changent d’Élément, sans changer d’essence. […] Certaines Dames s’y élèvent avec tant d’art, que vous [les] prendriez pour des Déesses qui vont prendre possession d’un trône au Ciel ; elles foulent la Terre par mépris, s’imaginant qu’elle n’est pas digne de les porter. D’autres la touchent si doucement, qu’elles semblent faire une espèce de Paradis d’un lieu qui fait notre exil, & nous ne pouvons pas nous ennuyer en un pays sur lequel des corps célestes se meuvent. Je ne dirai point maintenant de quelle façon on s’avance & on recule au bal, comment on s’y étend en un long espace pour se ramasser en rond, & que semblant être partout, on n’est pourtant en aucun lieu déterminé. On s’éloigne & on s’approche ; on se salue en face ; & on se tourne le dos sans commettre aucune incivilité ; on entre & on sort par une suite continuelle. "

C’est une description de la danse de bal au XVIIe siècle qui ressemble à une contredanse. Il semblerait cependant que ce soit seulement à la fin du XVIIe siècle qu'elle apparaisse en France. Celle-ci est très populaire jusqu’au début du XXe, avant que les danses venues d’Outre-Atlantique la remplacent. L’autre danse très à la mode dans les bals, en particulier chez les merveilleuses et les incroyables, mais qui ne commence en France qu’à la toute fin du XVIIIe siècle, c’est la valse. On la pratique alors d’une façon très différente d’aujourd’hui. Les bouches se frôlent, les deux corps se croisent, se décroisent, se retiennent et se suivent avec légèreté et une tendresse toute sensuelle. Ce n'est que plus tard au XIXe siècle que le couple fermé de la valse s'impose. Sir John Dean Paul (1775-1852) donne une description de cette nouvelle mode dans un passage sur les jardins de Tivoli à Paris de son Journal d'un voyage à Paris au mois d'août 1802 : « puis, au milieu de tout cela, la danse, sur un vaste espace recouvert d'un plancher. La danse que nous vîmes est fort curieuse et mérite d'être décrite. On l'appelle la valse : deux cents couples environ y prenaient part, accompagnés d'une musique très lente, tournant ensemble tout autour de la plateforme [...] les attitudes des femmes sont agréables et entraînantes pour ne pas en dire plus : quant aux hommes, autant vaut n'en pas parler [...] cette danse, très amusante pour les spectateurs et sans nul doute aussi pour ceux qui s'y livrent, ne sera jamais, je pense, à la mode en Angleterre [...] cette danse se pratique universellement dans la bonne compagnie ... »

La photographie de droite provient de La Comédie de notre temps (1874-1876) de Bertall (1820-1882) et est légendée : « Habit du valseur. »

La photographie ci-dessous contient trois illustrations de Tableau de Paris d'Edmond Texier (1853) légendées : « Un avant-deux. » ; « L'Élysée Montmartre. » ; « Au Prado. »

Louis Huart (1813-1865) écrit dans Paris au bal (1845) : " A Paris, le cancan est comme l’amour, il est de toutes les saisons ; et c’est surtout en fait de bals publics qu’on peut dire : Quand il n’y en a plus, il y en a encore ! Mabille et Lahire se disputent les danseurs d’été, Valentino et le Prado s’arrachent les danseurs d’hiver " qui est la saison du carnaval dont je parle dans l'article traitant de ce sujet. Et puis il y a les concerts musards, les bals masqués, les guinguettes, les bals des barrières (en dehors de Paris : à ses portes) … On serait sans doute très étonné de voir comment on danse au XIXe siècle. Certaines images d'époque dépeignent des danseurs faisant le grand écart, des danseuses levant le pied au dessus de leur tête, des positions ressemblant à des coups de karaté donnés dans le vide, et d’autres plus lascives.

Dans la partie consacrée aux jeunes de La Comédie de notre temps (1874-1876) de Bertall (1820-1882) plusieurs images illustrent cela. La photographie ci-dessus représente les illustrations de ce livre ainsi légendées (de gauche à droite et de bas en haut) : "Cavalière seule. Son jarret a du ressort, sa voiture en a huit. Pastourelle exécutée par la fée Veloutine, une étoile ; a eu l'honneur de figurer devant plusieurs princes, pas mal de ducs et quelques archiducs. " " Préparatifs pour l’avant-deux. - Tu vois le petit gros qui est là-bas, avec un nez rouge ? On vient de me dire que c'est un prince ! Attention, mon bonhomme, et du chien ! " " La petite nana. Pas du chassepot. A eu l’honneur de l’exécuter devant la Commission supérieure de l’armement. Elle seule possède ce pas élastique. Elle a ce tic. (Cours de l’institution Bullier.)" " La valse des roses. (Dédiée aux sportmen, great attraction !) Fille-de-l’Air entraînée par Gladiateur " " Une polka-mazourke. Par un étudiant de seconde année. Polka supérieurement rédigée et qui défie l’examen. " " En avant deux. La tulipe orageuse. " " La polka-mazourke. (Cours de M. Bullier.) " " En avant deux. Le grand écart. Ou l'écart naval. Études sur la ligne droite par un étudiant de troisième année, capitaine de la flotte de Bougival. " " solo de pastourelle-chassepot " " Pas de fantaisie Dit le Pas du Pied de biche. (Cours de M. Mabille.) Exécuté par mademoiselle Irma de Sainte-Menehould et M. Arthur, dit Caoutchouc, premier sujet. "

Certaines figures de danse font sensation dans les bals, comme la pastourelle. Voici ce qui est écrit à son sujet dans de La Comédie de notre temps : " c’est épatant, parole d’honneur [deux expressions à la mode alors ; la seconde depuis longtemps]. Il m’a présenté à une petite blonde qui vous a un rude chien, je ne dis que cela. A la pastourelle, elle vous décroche le chapeau de son vis-à-vis d’un coup de pied lancé si adroitement que c’est une merveille. Mais ce qu’elle fait et qui est vraiment surprenant, c’est le solo de pastourelle-chassepot. La jambe gauche est redressée vigoureusement, et le bras gauche, ramené en avant comme celui d’une sentinelle au port d’armes, tient la jambe pressée contre le coeur, droite et ferme ; le petit pied se dresse au-dessus de la tête, et la petite bottine à haut talon brille aux yeux ravis avec son gland coquet qui se balance frénétiquement. On applaudit, on fait cercle ; est-ce charmant ? je ne sais, mais c’est étonnant. " Après il est question du café " chéri " du narrateur et encore de danse : " Nous avons un petit café bien gentil où nous allons, tous les soirs dépourvus de Bullier, jouer aux dominos, causer littérature, politique, et boire des bocks ou des sodas avec ces dames. On rit tant dans ce caboulot chéri que la rate en est fatiguée. Nous avons été aussi à Mabille, aux Champs-Élysées ; mais là, suivant l’expression de Théophile, c’est de la haute. Il y a tous les petits crevés des deux mondes qui viennent étudier les moeurs françaises. On leur en fait sur commande, des moeurs, et pour leur usage particulier. C’est empoisonné de Russes, d’Anglais et d’Allemands en goguettes, qui viennent là pour regarder, s’instruire et être instruits. Ils reçoivent des leçons qui leur coûtent cher. Princes, ducs, comtes, vicomtes, barons de toute provenance, tournent en rond comme des totons autour de ces palmiers en zinc sous lesquels se promènent, dansent ou valsent une série de demoiselles, de celles qu’on appelle cocottes, mises très-chiquement, il faut le dire, avec des plumets, des panaches, des falbalas, des retroussis inattendus, des costumes d’opéra-comique ou de féérie. Quand, par hasard, ces dames daignent danser pour éblouir la galerie, elles ne sont jamais invitées naturellement par aucun des princes, ducs, ou même simples barons, qui marchent en rond et les yeux écarquillés, autour de l’enceinte de la danse et de l’orchestre. Ce sont des petits jeunes gens très-élastiques et payés pour remuer les jambes en mesure et se décarcasser en public, qui leur servent de partenaires et de vis-à-vis. Ces jeunes gens, m’a-t-on dit, sont recrutés parmi les petits commis de magasin. Il y en a qui se sont fait une célébrité. La famille Clodoche était du nombre ; elle est restée célèbre. Mais ça n’est pas pour nous ; on y va de temps en temps du quartier latin, à ce qu’il paraît, pour revoir des anciennes qui ont passé l’eau, font maintenant leur poussière et ont de petites voitures qu’elles conduisent elles-mêmes au Bois, tandis qu’un groom vêtu de noir croise gravement ses bras derrière elles. On va jaboter un peu avec ces dames, dont quelques-unes sont restées bonnes filles et ont encore des regards pour les amis qui les ont connues lorsqu’elles étaient blanchisseuses, - et on revient au quartier. Tout ça n’est pas fait pour nous. Ah ! si Bullier ne recelait pas tant de coiffeurs et de garçons tailleurs, ce serait l’idéal ! Mais enfin il n’y a que Bullier. "

Les lieux à danser sont aussi généralement des endroits de délassement où on 'cause', boit, se divertit généralement dans des bosquets aménagés comme il peut y en avoir dans les jardins de Tivoli, à Frascati, sur les Champs-Elysées, dans les guinguettes ... qui tous seront  ou ont  été les sujets d'articles.

Photographie : Illustration de La Comédie de notre temps (1874-1876) de Bertall : " La petite vicomtesse de Trois-Étoiles, venue un soir avec le vicomte, déclare que tout cela n’est pas si … étrange qu’elle le pensait, et qu’en somme on en voit bien d’autres à la Gaîté, dans toutes les féeries, et surtout à l’Opéra. "

Merveilleuses & merveilleux