Le becarre

Le bécarre est un personnage qui exerce vers 1880. Dans ses Physiologies parisiennes (1886), Albert Millaud (1844-1892) écrit un chapitre sur ce petit-maître : « Bécarre est un terme de musique, momentanément détourné du droit chemin pour désigner une phase spéciale de la vie parisienne. On est "bécarre", une chose est "bécarre", un mot est "bécarre", comme on était raffiné, sous Charles IX ; libertin, sous Louis XIV ; talon rouge, sous le Régent ; et plus tard, incroyable, dandy, lion, gandin, etc. Bécarre a remplacé ce qu'on nommait le chic [...] Un homme est "bécarre" quand il se met en habit à partir de six heures et demie du soir et qu'il voit le monde. Le "bécarre" a des souliers pointus, un pantalon étriqué, le gilet blanc très ouvert. Il ne porte qu'un seul gant, à la main gauche, et il n'a point de bijoux. Le "bécarre" est gourmé, très droit, très sérieux, très Anglais et très sanglé. Il a un col de chemise très haut et très empesé, une cravate blanche à noeud extrêmement court. Il doit avoir des bouts de favoris ras, descendant au niveau du lobe de l'oreille ; il a des moustaches. La barbe lui est interdite. Le "bécarre" ne soupe pas ; il se couche de bonne heure, afin d'être au Bois, à cheval, dès le premier matin. Il n'est pas "bécarre" d'être gai et expansit. La concentration est le signe distinctif du "bécarre" [...] Le "bécarre" a toujours trente ans, n'en eût-il que vingt. On n'est point "bécarre" si l'on n'est pas grave et réservé. [...] Le "bécarre" salue avec gravité de la tête. Le corps est immobile. Un vrai "bécarre" tend la main, dégantée, avec une pression légère. Le shake-hand n'est pas "bécarre" pour les hommes. Il l'est pour les femmes. [...] Jamais un "bécarre" n'arbore le gardénia à la boutonnière. Cet ornement est laissé aux coiffeurs qui s'émancipent. Pour être "bécarre" il faut être digne. Tout le monde peut être bémol ou dièze, mais peu de gens sont aptes à être "bécarre". »

Photographies : Illustrations du chapitre consacré au bécarre de Physiologies parisiennes (1886) d'Albert Millaud (1844-1892). Dans la seconde image, on remarque la position "en chenille" (voir Le Petit-maître en Chenille) du garçon qui accompagne les jeunes filles qui font face au salut des deux bécarres.

 

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