C’est en réaction aux mœurs grossières de la cour d'Henri quatre et au laisser-aller ambiant, que la délicatesse du dix-septième siècle trouve refuge chez des dames de qualité qui entreprennent de raffiner les manières et le langage. On se rassemble dans la chambre d'une de ces instigatrices. Les femmes et les hommes qui lui rendent visite s'assoient autour d'elle, dans l'espace appelé "la ruelle", entre le mur et le lit où leur hôtesse les reçoit. Cette habitude d'accueillir chez soi un public choisi et d'embellir ainsi sa pensée se nomme "tenir" ou "faire" salon. Au début du dix-septième siècle, ceux qui savent briller par leur esprit aiment à se retrouver dans la chambre bleue de l'Hôtel de Rambouillet (vers 1608-1648) situé dans l’actuel Palais Royal. Vincent Voiture en particulier est le grand animateur de ce salon. On y rencontre Malherbe, Mme de Sévigné, Vaugelas, Madame de La Fayette, Guez de Balzac, Corneille… Les habitués excluent toute pédanterie et admirent les belles pensées sans prétention. Au salon de Rambouillet succède celui de Mlle de Scudéry. Modeste logis comparé aux autres hôtels particuliers du Marais, il réunit tous les samedis de la seconde moitié du siècle ce que compte Paris de femmes et d'hommes de lettres. Plutôt tournés vers la littérature, les habitués continuent la tradition des romans fleuves avec pour référence L'Astrée d'Honoré d'Urfé. Mlle de Scudéry publie La Clélie où se déploie la fameuse "Carte du Tendre". D'autres salons parisiens sont moins célèbres car moins fréquentés et moins mondains. Des deux hôtels de Nevers établis sur les rives de la Seine, le premier est tenu par la comtesse du Plessis-Guénégaud et est ardemment attaché à Fouquet. Citons les salons bourgeois comme celui de Mme Scarron et les cercles aristocratiques de Mme de Sablé et de Mme de Sully.
Le "calendrier des ruelles" indique les jours de réception. Dans les salons, se développe principalement l'art de la conversation. Elle doit être libre, enjouée, naturelle, légère, honnête. Ce terme s'applique aussi bien au comportement, à l'intelligence, à l'élégance des manières, qu'aux agréments de l'esprit. L'honnêteté s'exprime dans le raffinement des mœurs et la justesse du goût. C'est une manière de penser imprégnée de délicatesse étrangère à toute pédanterie. On y discourt aussi bien des subtilités de l'amour que de problèmes grammaticaux. La littérature est un des sujets privilégiés. On converse sur des ouvrages. Leurs auteurs viennent les lire. On organise des concours de poésie... Le thème de discussion privilégié est l'amour : "L'amour et le mariage sont-ils compatibles ?", "Quel est l'effet de l'absence en amour ?". Les termes réalistes qui éveillent des images insupportables sont éliminés : vomir, balai, rhume, se marier... Ils sont remplacés par des périphrases : "être d'une humeur communicative", "laisser mourir la conversation". Le miroir est le "conseiller des grâces". Les pieds sont les "chers souffrants", les sièges les "commodités de la conversation"... De nouveaux mots sont créés comme obscénité, incontestable, enthousiasme... On en défend certains face à l'Académie : "car". De ce mouvement fleurit une nouvelle sensibilité littéraire qui a contribué à la formation de la langue française. Le goût ‘frustre’ de l'aristocratie de l'époque est remplacé par des comportements et des langages raffinés. La gente féminine a joué un grand rôle dans cet épanouissement. La Précieuse revendique des droits pour la femme. Elle oppose à l'amour vulgaire et charnel, l'amour épuré, la "tendre amitié", librement consentie. Elle met à la mode le premier type de "femme d'esprit", hostile au mariage. Elle préfère le flirt ; propose le mariage à l'essai reconductible chaque année.
Derrière l’histoire de ces Précieuses du XVIIe siècle caricaturées par certains comme Molière et parfois caricaturales, se cache une vérité très profonde de la culture protégée dans l’histoire par de grands mécènes français femmes et hommes ayant un véritable amour des arts et le savourant avec un extrême brio. Parmi ces esthètes sont des dames rassemblant autour d’elles tout ce qu’il y a de plus fin. Aliénor d’Aquitaine (née vers 1122), est un des plus grands protecteurs des arts du XIIe siècle et de ses poètes les troubadours (les « trouveurs » des rimes les plus délicates). Elle est la petite fille de Guilhem IX (1071-1126), duc d’Aquitaine et sixième comte de Poitiers, considéré comme le premier troubadour (poète de l’art courtois, de la fin’amor : amour fin) et le premier écrivain de l’Europe médiévale à s’exprimer en langue vulgaire. Elle est aussi la mère de l’un d’entre eux Richard Cœur de Lion. Marie de Champagne (1174-1204) en est un autre exemple. Elle convie autour d’elle des artistes célèbres comme Chrétien de Troyes en particulier connu pour ses romans arthuriens… D’autres femmes contribuent à ce foisonnement et cela surtout jusqu’à la fin du XVIIIe siècle avec les salons qui sont des réminiscences de pratiques antiques (banquets, dialogues…) redécouvertes à la Renaissance mais aussi propagées par le Moyen-âge. C’est ainsi qu’il est de bon ton au XVIIe siècle de s’affubler de noms antiques comme dans l’exemple de la photo 1 où Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654) s’adresse à la Précieuse Marquise de Rambouillet dont il côtoie le salon, en s’appelant lui-même « le Romain » (Les Oeuvres diverses du Sieur de Balzac. Seconde édition, Paris, P. Rocolet, 1646, in-4). Mais on sait aussi puiser dans une culture moins lointaine et même d’en inventer une nouvelle. Ces manières ressurgissent à la Renaissance avec des regroupements, souvent animés par des femmes, comme celle de la photographie 2 qui préfigure la Précieuse, femme d'esprit et de lettres. Il s’agit d’une petite gravure (10 x 14 cm) du XVIIe siècle provenant sans doute d’un livre, représentant un portrait de buste de Sibille de Sève (XVIe siècle) sous lequel est inscrit : « Mademoiselle Sibille de Scève, Lyonnaise excellente en l’art poétique et rareté d’esprit » (Mamoiselle Sibille de Seve Lionoise Excellente en l’art Poetique et rareté D’esprit). Sibylle Scève est une poétesse et intellectuelle lyonnaise, parente (peut-être la sœur) de Claudine et du célèbre écrivain Maurice Scève (1501-1564) qui est le représentant avec Louise Charlin Perrin Labé (vers 1525-1566), appelée aussi La Belle Cordière, de ce qu’on nomme aujourd’hui l’école Lyonnaise qui comprend entre autres Claude de Taillemont, Charles Fontaine, Pontus de Tyard et de nombreuses femmes comme Jeanne Gaillarde, Christine de Pisan, Pernette du Guillet, Clémence de Bourges, Claudine et Sibylle Scève, sans compter les visiteurs occasionnels comme Clément Marot, Melin de Saint-Gelais, avec probablement Bonaventure des Périers et Rabelais.
Après la pièce de Molière Les Précieuses ridicules, les Précieuses se font plus rares. Cependant d’autres femmes font salons et s’entourent de beaux esprits pendant que les Petites-maîtresses et les Petits-maîtres dont nous allons parler dans un prochain article restent maniérés, avec certains tout particulièrement incroyables.
Depuis l’Antiquité, un savoir humaniste et courtois, plein de finesse, d’amour et de sagesse, se rassemble dans des cercles d’une richesse inouïe, remplis de résurgences de savoirs anciens et de découvertes nouvelles, de connaissances et de créations. Dans chacun d’entre eux s’invente un nouveau monde à la manière des Trouvères qui trouvent de nouvelles rimes. Avec eux la langue se rénove, les manières changent, la modernité toujours renouvelée se répand. Il y a un dicton qui dit que la seule chose qui ne change pas c’est le changement. La Modernité est la matérialisation de cela !