La Toilette d'apparat des XVIIe et XVIIIe siècles

C’est devant le miroir de la toilette qu’une grande partie du spectacle des mœurs des XVIIe et XVIIIe siècles se joue. Il est le plus souvent au pied du lit, dans l’endroit ‘magique’ de ce que l’on appelle « la ruelle », là où depuis longtemps déjà les dames de qualité invitent les gens d’esprit, où les salons se forment et l’art courtois s’exhale. C’est dans ce lieu de plaisir, de raffinement et de passage entre le monde du rêve et le mondain, dans cet état intermédiaire de tous les possibles, que la toilette se crée. On y découvre et invente les nouvelles modes, met en scène la journée, badine, se détend, s’accommode … Là les mystères se déploient sans pudeur mais avec tact.

quenditlabbe.jpg L'estampe ci-dessus présente les occupations d'une femme durant la toilette d'apparat. Cette estampe est du XVIIIe siècle gravée par Nicolas Delaunay (1739-1792) d’après Nicolas Lavreince (1737-1807). La dame demande à son abbé ce qu’il pense du tissu que lui présente une vendeuse de mode, tout en se faisant coiffer, accueillant des visiteurs (l’un attend avec une servante, et la maitresse tient dans sa main une lettre qui montre que c’est aussi un moment où l’on travaille) et partageant amours (l’homme qui la tient par le bras est sans doute son mari) et plaisirs (un musicien accorde sa guitare) … 

Le mot de « toilette » vient d’une petite toile, très fine, qui au Moyen-âge est employée pour envelopper les vêtements et les protéger des insectes et de la poussière. On y range aussi des objets divers, en particulier ceux dont la femme a besoin pour embellir son visage et ajuster sa coiffure. Les toilettes sont placées chaque soir dans des cassettes de nuit, puis déployées le matin. Cette étoffe luxueuse est déjà appelée ainsi au XVIe siècle. Au XVIIe, le sens du mot s’élargit pour définir l’ensemble des objets de la garniture. Cependant, on désigne toujours le même tissu par le nom de « toilette ». Ce serait au XVIIIe siècle que le terme désigne en plus le meuble sur lequel on place ce qui est nécessaire à se parer. On l’appelle aujourd’hui ‘table de toilette’ ou ‘coiffeuse’. Elle est généralement rectangulaire, sur quatre pieds, avec deux ou trois tiroirs de face et parfois une tirette formant écritoire. Le dessus s’ouvre en trois volets, celui du milieu portant un miroir et les deux autres découvrant deux caves latérales dans lesquelles on dépose des pots, flacons, boites…
Au XVIIIe siècle, les dames de qualité font deux toilettes : de propreté et d’apparat. L’une est intime. L’autre est mondaine car on y reçoit. La toilette d’apparat est un instant où on échange des billets doux, où on reçoit ses amants C’est aussi le moment de rendez-vous officiels. On y accueille des marchands de rubans ou autres fournisseurs... On se fait coiffer. De nombreux peintres ont immortalisé le moment de la toilette d’apparat dans des peintures, dessins ou gravures, repris dans de fragiles statuettes en porcelaines dont la manufacture de Sèvres nous donne plusieurs exemples d’une grande finesse.

Au XVIIe siècle, plusieurs séries de gravures mettent en scène les cinq sens ; et souvent celle qui symbolise ‘ La Vue’ montre une femme à sa toilette devant son miroir. C’est le cas sur cette estampe qui dépeint le moment de la toilette d’apparat.
IMGP1009.JPG Les Modes en France.
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Plusieurs peintures et gravures montrent une dame devant sa table de toilette accompagnée de son mari, comme le Portrait du marquis de Marigny et de sa femme par Louis-Michel Van Loo (1707-1771), datant de 1769, et visible sur : http://www.insecula.com/oeuvre/O0000742.html. Parfois il s’agit d’un portrait de famille comme celui ainsi intitulé de François-Hubert Drouais datant de 1756, et où le mari et l’enfant de la dame sont présents. Même si ce moment est un des meilleurs pour arranger ses amours, il existe de nombreux écrits d’époque décrivant des rendez-vous officiels durant la toilette, et des femmes réglant durant ce moment des affaires délicates (pas seulement amoureuses) par l’intermédiaire de billets. Il me semble peu probable que celle représentée sur la gravure soit en train de lire un billet doux, car le papier est ouvert et à la vue de tous les hommes qui l’entourent. Mais vous avez raison, il ne s’agit pas obligatoirement de quelque chose de ‘sérieux’ : un poème … Rien de ce que j’écris n’est inventé. Tous les faits proviennent de documents d’époque. Pourtant, il y a beaucoup de fantaisie, d’imagination et de création dans mon regard, la manière de choisir et de mettre en scène ces sources. Je vous retrouverai un peu plus tard les textes où sont décrits des rendez-vous mondains durant la toilette. En attendant, voici comment les frères Goncourt la décrivent au Chapitre III de « La Femme au dix-huitième siècle » : « Le moment du grand lever est venu ; et voici tous les courtisans et tous les familiers qui viennent faire cercle autour de la femme en manteau de lit. C'est l'instant du règne de la femme. Elle est friande, elle est charmante, ramassée dans son corset, avec cet aimable désordre et cet air chiffonné du déshabillé du matin. Aussi que de monde autour d'elle! C'est un marquis, un chevalier, ce sont des robins et des beaux esprits. Et, tout assaillie de compliments, elle répond, elle sourit, remuant à tout moment, choisissant un bonnet puis un autre, laissant en suspens la main du coiffeur forcé d'attendre, le peigne en l'air, que cette tête de girouette se fixe un instant pour pouvoir enfin faire une boucle à la dérobée. C'est là qu'on dépêche les grandes affaires, qu'on reçoit l'amour, qu'on le gronde, qu'on le caresse, qu'on le congédie ; c'est là qu'au milieu du babil interrompu et coupé, on écrit ces délicieux billets du matin plus aisés que ceux du soir et où le cœur se montre en négligé. Cependant les deux sonnettes du cabinet font sans cesse un carillon étourdissant : ce sont des caprices, des ordres, des commissions ; toute la livrée est mise en campagne pour aller prendre l'affiche de la comédie, acheter des bouquets, s'informer quand la marchande de modes apportera des rubans d'un nouveau goût, et quand le vis-à-vis sera peint. Le colporteur entre avec les scandales du jour, tirant de sa balle des brochures dont une toilette ne peut se passer, et qu'on gardera trois jours, assure-t-il, sans être tenté d'en faire des papillottes. Le médecin de madame la complimente sur son magnifique teint, sa brillante santé, «la collection de ses grâces». Et l'abbé, car l'abbé est de fondation à la toilette, quelque petit abbé vif et sémillant, se trémoussant sur le siège qu'une femme lui a avancé, conte l'anecdote du jour, ou fredonne l'ariette courante, pirouette sur le talon, et taille des mouches tout en parlant. On va, on vient, on piétine autour de la toilette : un homme à talent gratte une guitare que les rires font taire, un marin présente un sapajou ou un perroquet, un petit marchand de fleurs, remarqué la veille à la porte du Vauxhall, offre des odeurs, des piqûres de Marseille ou des bonbons. Une marchande déroule sur un fauteuil une soie gorge de pigeon ou fleur de pêcher ; et à tout cela : «Qu'en dit l'abbé ?» fait la jolie femme qui se retourne à demi, et, revenant à la glace, se pose au coin de l'œil une mouche assassine, tandis que l'abbé lorgne la soierie et la marchande. »
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T
Bonjour, je viens de lire avec interet le texte qui accompagne la gravure de Delaunay et aimerais vous faire remarquer aimablement qu'en usage general et surtout dans le milieu aristocratique au xviiie s. il etoit tout à fait de mauvais ton d'avoir son mari presant à sa toilette (du matin ou du soir, peu importe) et dans le meme sens une femme (une epouse comme on dit depuis le xixeme s) ne se serait jamais presentée aux risques de se faire ridiculiser à la toilette de son mari. Je vous propose de voir appuié à son bras un tres bon ami, du moins un soupirant ou carrement un amant. Quant à la vendeuse de mode, dans le language du xviiie ,on les appelaient des marchandes de modes tout simplement. La lettre que la maitresse des lieux tient dans sa main ne la demontre point travailleuse, ce nest pas ni le moment ni le lieu, mais un billet (doux) qu'elle aura reçu, peut etre le matin meme. Vous parlez de la toilette d'apparat, elle est assez flou comme terme. Il faut comprendre que les dames procedaient de facon à faire ce que lon appelle une premiere toilette reservée à elles seules accompagnées de femmes de chambre pour non seulement des soins et hygiene intime mais pour se faire coiffer et habiller de maniere à etre presentable pour ce que lon appelle la seconde toilette, ce que represente donc votre gravure. Sa femme de chambre semble la coiffer mais pour la forme; la coiffure est finie depuis la premiere toilette, là elle va devoir suivant les caprices de sa maitresse fixer la coiffe (bonnet, toque, plumes, rubans, fleurs...)Une toilette d'apparat me parait comme expression adopté au xixe s. merci pour votre site, je la suis avec interet.
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Merveilleuses & merveilleux