L’armure : l’ancêtre du vêtement moderne

Les Tudors

Photographies ci-dessus provenant de l’article Les Tudors.

Aux XIIIe – XIVe siècles, s’opère un grand changement dans le vêtement occidental. On passe de l’un majoritairement composé d’une tunique et d’un manteau, à un autre principalement taillé et à la source de la manière de se vêtir actuelle. Je me suis longtemps demandé pourquoi ?

Durant l’Antiquité gréco-romaine, femmes et hommes s’habillent d’une tunique plus ou moins courte et d’un manteau drapé plus ou moins long. Au nord de la Méditerranée, le temps étant moins clément, certains se couvrent notamment les jambes avec ce qui est l’ancêtre du pantalon : la braie, ou bien avec ce que l’on appelle plus tard « le bas de chausse », une sorte de bas généralement de laine.

Au Moyen Âge, dans ce qui constitue l’actuelle France, on s’habille encore plus ou moins comme durant l’Antiquité jusqu’au XIIIe siècle. Les deux sexes portent deux tuniques (une de dessous et une de dessus), appelées « robes », et un manteau, tissu non cousu, tenu par une agrafe. Selon la condition de chacun, ces effets sont plus ou moins longs. Toutes les professions n’ont pas non plus les mêmes. La braie, les chausses et des vêtements plus taillés sont en particulier présents dans les métiers qui demandent des efforts physiques et ceux de la guerre. Comme je l’écris dans Les Petits-maîtres du style, Charlemagne (vers 742 – 814) s’habille dans la vie de tous les jours de manière franque, avec une robe (chemise) et un haut-de-chausses (braie gauloise) en lin. Par-dessus, une autre robe (tunique moulante) est entourée d’une ceinture de soie. Des bas-de-chausses (sans doute en laine) couvrent la partie inférieure de ses jambes et sont entièrement ceintes de bandelettes. Ses pieds se glissent dans des sandales. Un justaucorps de fourrure (peau de loutre) en hiver protège sa poitrine et ses épaules du froid. Son seul manteau est la saie (aussi écrit saye) des Vénètes (manteau court tenu par une agrafe au niveau de l’épaule). Son baudrier et la poignée de son épée sont en or ou argent. Les jours de grandes solennités cette dernière est enrichie de pierreries, son justaucorps est brodé d’or, ses souliers ornés de pierres précieuses, sa saie retenue par une agrafe d’or, et il porte un diadème d’or et de pierreries. Par deux fois uniquement, devant le Pape (Adrien Ier puis Léon III) lors de séjours à Rome, il s’affuble de la longue tunique, de la chlamyde et de la chaussure romaine, tenue qui reste celle de l’aristocratie en Europe à l’époque. La base de la ‘manière franque’ est donc, comme durant l'Antiquité, constituée de tuniques et d’un manteau drapé auxquels s’ajoutent les chausses ; sinon, on s’habille à la romaine.

À partir du XIIIe siècle, les habits deviennent progressivement beaucoup plus taillés, avec l’abandon progressif de la tunique (robe) chez les hommes, la chemise de dessous (ancêtre de la chemise actuelle) restant souvent la seule tunique encore employée chez ceux-ci à l’époque moderne, et l’usage des chausses et du pourpoint chez les hommes. L’habit devient donc beaucoup plus taillé, beaucoup moins drapé, et beaucoup plus ajusté au corps. Alors qu’auparavant il se pose sur ce dernier, dorénavant il sculpte la silhouette.

Depuis le dernier quart du Moyen Âge et jusqu’à aujourd’hui, l’habillement masculin garde une même base constituée de la chaussette (bas de chausse, bas, chaussette) du pantalon (braie, chausse, haut-de-chausse, culotte, pantalon), de la chemise, du gilet et de la veste, ces deux derniers prenant différents noms (pourpoint, juste-au-corps, veste, gilet, etc.) et du manteau.

Comment est-on passé du drapé au vêtement taillé, de l’habit enveloppant le corps à celui qui le sculpte ? Ce changement radical ne peut s’expliquer que par la sophistication des armures qui, en particulier à partir du XIIe siècle, deviennent des protections dans lesquelles on glisse le corps. Du reste, en même temps que l’habillement masculin devient très cousu et ajusté, il se rigidifie d’une manière parfois extrême, avec l’aide de multiples procédés dessinant la silhouette : rembourrage, amidonnage, boutonnage, vertugadin, etc., ce qui est particulièrement le cas au XVIe siècle.

Il n’est pas rare que le vêtement militaire impose de ses caractéristiques dans la mode masculine et même la féminine, comme pour le corset, le col haut et rigide, etc. L’armure non seulement doit avoir un rôle de protection, mais elle se doit d’être un minimum fonctionnelle afin d’altérer le moins possible les mouvements. Chaque partie est donc travaillée de manière autonome, et le tout assemblé. Il en est de même avec le vêtement moderne, depuis le dernier quart du Moyen Âge. Chez les deux sexes les manches sont souvent indépendantes et cousues, parfois à même le corps, le col peut être rapporté ainsi qu’une multitude d’autres éléments de l’ajustement afin d’être paré mignotement, comme on le dit au Moyen Âge, ornements qui pour la plupart n’existent pas avant le XIIIe siècle et qui sont très nombreux en particulier durant l’Ancien Régime. J’en donne une liste dans mon livre sur les Merveilleuses & les merveilleux.

Merveilleuses & merveilleux