Le Projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine est maintenant une loi adoptée définitivement mercredi dernier (29 juin) au Sénat par un vote à mains levées, à la va-vite, sans que l'on puisse connaître le décompte des voix favorables et défavorables. Lors de la discussion de ce mercredi, la majorité de la gauche et celle de la droite ont exprimé leur approbation du texte, exceptées quelques abstentions (comme les Communistes). Les groupes Socialistes, Écologistes, Les Républicains, RDSE, UDI-UC, ont voté en sa faveur en exprimant leur grande satisfaction.
Cette manière de voter l'ensemble d'un projet de loi, sans scrutin public comme il est de coutume, est un exemple de la désagrégation de notre démocratie. Ce texte en a été le témoin de plusieurs autres manières, comme à travers les recours à des décrets ou des ordonnances (voir plus loin). Surtout il montre combien la politique a disparu des bancs du Parlement. Les parlementaires sont devenus de simples fonctionnaires prenant ce qu'on leur donne, comme un chien sa pâtée, et essayant de l'arranger tant que faire se peut en gesticulant beaucoup pour pas grand-chose... surtout sans jamais aller au fond de la problématique, en prenant soin de toujours rester à la surface.
Le texte définitif est visible ici.
Alors qu'il avait été présenté avec 46 articles, il en compte aujourd'hui 119. Les sénateurs semblent avoir été heureux d'avoir pu modifier un très mauvais texte pour en faire un texte mauvais. Cette loi est, encore plus qu'au début de la présentation de son projet, un foutoir, d'une technocratie déconcertante, surtout pour une loi traitant d'art.
Le contentement général est à faire sourire un habitant de Tchernobyl !
Le titre I contient les « dispositions relatives à la liberté de création et à la création artistique », avec au chapitre 1er les « dispositions relatives à la liberté de création artistique ».
Pendant que tous les parlementaires exprimaient leur satisfaction de l'article 1 affirmant que « la création artistique est libre », le président de la République française décorait le prince héritier d’Arabie saoudite de la Légion d’honneur (voir ici) et s’accoquinait (et continue de le faire) avec de très nombreux dictateurs.
L'article 2 ajoute que la diffusion artistique est libre... de bâtir le Louvre Abu Dhabi ?
Les articles suivants de ce premier chapitre exposent la manière dont le Gouvernement envisage cette liberté, c'est à dire en créant un système de copinages, de subventions, de labels et de conventionnements.
Le chapitre II est sur « Le partage et la transparence des rémunérations dans les secteurs de la création artistique ». En guise de transparence on est dans de la pure technocratie. Faut-il qu'un artiste passe par un cabinet d'avocats chaque fois qu'il signe un contrat ? La toile d'araignée créée aide qui ? De toute évidence ce qui intéresse le Gouvernement ce n'est pas l'art mais son économie. Il invente même à l'article 12 « un observatoire de l’économie de l’ensemble de la filière musicale. » La situation qu'il crée depuis des années est tellement inextricable qu'il est conçu dans cette loi un « médiateur de la musique ». Celui-ci « est chargé d’une mission de conciliation pour tout litige relatif à l’interprétation ou à l’exécution » de contrats !?!?!
Dans l'article 14 comme dans de nombreux autres articles « un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article ». Comme l'explique cet article de la Gazette des communes, le Conseil d’État est devenu colégislateur plutôt que juge. Il est fait appel à un décret en Conseil d’État (c'est à dire en dehors de toute démocratie parlementariste) dans cette loi quarante fois : aux articles 5, 14, 21 (deux fois), 26 (deux fois), 30, 31, 33 (deux fois), 38, 48, 56 (deux fois), 57, 60, 61, 62, 69, 70, 71 (deux fois), 72, 74 (trois fois), 75 (huit fois), 78, 81, 88, 105, 109. Par exemple à l'article 71 il est indiqué qu'un décret en Conseil d’État précise les missions, la composition, les conditions de désignation de ses membres et les modalités de fonctionnement du Conseil national de la recherche archéologique et un autre des Commissions territoriales de la recherche archéologique. Si on y ajoute les habilitations qu'offre cette rédaction au Gouvernement à légiférer par ordonnances on se retrouve avec la constitution d'une loi construite parallèlement à celle-ci en dehors de tous débats.
Par la suite ce titre I traite tous azimuts de propriété intellectuelle, des pratiques artistiques amateurs, de l'accès à la culture par les personnes en situation de handicap, de la défense de la production musicale francophone, du Centre national du cinéma et de l’image animée, des spectacles vivants, de l'enseignement artistique spécialisé, de l'enseignement supérieur de la création artistique et de l’architecture, etc.
Le titre II est intitulé « Dispositions relatives au patrimoine culturel et à la promotion de l’architecture ». Concernant les parties sur le patrimoine et l'archéologie, je ne suis pas spécialiste de ces problématiques, mais malgré les modifications qui semblent salutaires des sénateurs, force est de constater que les dispositions premières du Gouvernement ne sont pas favorables à une bonne conservation du patrimoine. Il ne faut pas être devin pour dire que maintenant que cette loi a été votée cela va continuer à aller en empirant dans ces domaines. C'est par exemple dans ce texte que j'ai appris que l'archéologie était « un bien commercial » en écoutant une sénatrice RDSE dire : « En ce qui concerne l'archéologie préventive, point sensible de nos débats, le caractère scientifique des politiques archéologiques a été réaffirmé – et c'est essentiel, tant l'archéologie n'est pas un bien commercial comme les autres. » J'ai aussi pris connaissance du fait qu'il y avait eu en 2003 une ouverture à la concurrence de ce secteur, des autorisations de sous-traitance, etc.
Malgré la logorrhée législative de cette loi, le titre III offre au Gouvernement des habilitations à légiférer par ordonnances, c'est à dire sans débat. Par exemple l'article 95 lui permet de modifier le livre III du code du patrimoine : pour les bibliothèques « d’abroger les dispositions devenues inadaptées ou obsolète » ; pour l'archéologie « d’énoncer les règles de sélection, d’étude et de conservation du patrimoine archéologique afin d’en améliorer la protection et la gestion » ; pour les monuments de « définir des exceptions au caractère suspensif du recours exercé à l’encontre de la décision de mise en demeure d’effectuer des travaux de réparation ou d’entretien d’un monument historique classé », « de réorganiser le plan du code du patrimoine, d’harmoniser la terminologie et d’abroger ou d’adapter des dispositions devenues obsolètes afin d’en améliorer la lisibilité et d’en assurer la cohérence » ; etc. ; c'est à dire dans ces domaines de pouvoir faire un peu ce qu'il veut. L'article 96 l'autorise à modifier le code du patrimoine et celui de la propriété intellectuelle pour l'Outre-mer. L'article 93 permet de faire la même chose avec le cinéma. L'article 94 lui donne la possibilité « de transposer en droit français la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins et l’octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur. » On est ici dans un déni de démocratie.
Enfin le titre IV est sur les « dispositions diverses, transitoires et finales ».
En suivant ce projet de loi, souvent je me suis demandé si ce texte parlait vraiment de culture. Mais comme le titre du dossier législatif de l'Assemblée nationale est : « Culture : liberté de la création, architecture et patrimoine » et que l'Exposé des motifs de ce projet de loi commence par « La culture... », et indique clairement que c'est son sujet, alors cela doit l'être. Ma notion est bien plus large. Pour moi, la culture est l'âme d'une société, son intelligence. C'est elle qui la guide dans ses choix idéologiques, esthétiques, moraux, etc., qui la rythme. Elle est son passé, son présent et son avenir. Elle garantit sa cohésion, son 'bien-vivre ensemble', offre des liens et de hautes perspectives. Qu'est-ce de tout cela que l'on retrouve dans cette loi ? Au contraire, comme je l'écris dans cet article, elle cache les véritables problématiques culturelles de notre monde contemporain.