Hubert Robert, 1733-1808 : un peintre visionnaire (4).

Ce quatrième et dernier article suit le premier, le second et le troisième sur l'exposition rétrospective intitulée Hubert Robert, 1733-1808, un peintre visionnaire qui se tient au Louvre jusqu'au 30 mai 2016.

LA PRISON À LA RÉVOLUTION

Après avoir vu l'exposition sur Élisabeth Vigée Le Brun, une grande portraitiste de son époque, on est étonné de ne voir aucun portrait chez Hubert Robert... Lui-même se représente peu. Peut-être est-ce lui que l'on voit peignant dans quelques-unes de ses œuvres. Dans deux exemples datant de la Révolution il se dessine une fois dans sa cellule de prison et une autre au dos d'une assiette.

Le dessin ci-dessus, L'artiste dans sa cellule, composé en 1793, est particulièrement émouvant. On le voit recevoir avec grâce le pain et le vin d'un enfant de la République. Il l'accueille la main droite ouverte et la gauche tenant un livre ouvert. Au-dessus de la porte est inscrit en latin « Carcer socratis / Domus Honoris » (Prison de Socrate / Maison respectueuse) ; et sur le bord de la table à l'opposé : « Dum spiro spero » (Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir). On retrouve ici l'humanisme et l'humour de l'auteur. Celui-ci, détenteur d'une ancienne mémoire, accueille avec bienveillance ce futur, révolutionnaire, dans l'image de cet enfant christique. On est dans la communion et l'espoir. La prison pour l'innocent se transforme en temple dédié à Socrate, et église du Christ où se pratique la communion par le pain et le vin, la littérature (il y a de nombreux livres dans la pièce) et le dessin. Sur le carton à dessins est écrit : « Robert à Ste pélagie 1793 ».

Ci-dessous deux assiettes peintes par l'artiste en prison, l'une de face avec la peinture d'une pastorale, l'autre de dos avec la signature de l'artiste et son profil dessiné. Le sujet de la peinture est très simple : un paysage bucolique dans lequel on aperçoit un berger et ses moutons, et une femme portant son enfant en marchant. La nature est donc le personnage principal.

INTEMPORALITÉ

J'ai déjà évoqué dans les articles précédents l'intemporalité de la peinture de cet artiste. J'y reviens ici.

Photographie de gauche : Détail de La Maison carrée, les arènes & la tour Magne de Nîmes (1787). Le personnage ressemble à l'idée que l'on peut se faire de Socrate.

La peinture ci-dessous, Portique avec danseurs et musiciens dans un parc, de vers 1775-1780, met en scène une danseuse contemporaine, deux vieillards de l'Antiquité, un personnage de la Commedia dell'arte et des musiciens, tout cela dans un décor antique. Sans doute les deux vieillards observant attentivement les comédiens sont des personnifications des auteurs de la pièce jouée. Le blanc et le noir des acteurs accentuent l'ombre et la lumière découpant en deux l'espace de jeu. Cela ajoute à la géométrie des architectures de la composition donnant l'impression de voir la structure même du drame joué et d'envisager l'art du peintre comme un spectacle, ou plutôt un poème dramatique. Le premier plan baigne dans une lumière dorée, intemporelle, Dans le fond un temple circulaire, sans doute dédié à Aphrodite, se trouve au centre dans une lumière blanche, une blancheur qui est aussi celle de l'actrice à la mode au geste gracieux.

Dans Deux jeunes femmes dessinant dans un site antique, de 1786 (photographies ci-dessous, pas très bonnes du fait des reflets de la vitre ne m'ayant pas permis de prendre une image convenable de l'ensemble), deux petites maîtresses artistes, dessinent sur des ruines pendant qu'au-dessus d'elles, à gauche, trois personnages antiques sont peints : un philosophe parlant à deux jeunes gens, sans doute deux jeunes filles, personnifications de l'âme des deux femmes peintres inspirées par l'antique sous les traits d'un vieillard. Hubert Robert donne ainsi vie à ces ruines. Une nouvelle fois nous sommes dans un espace pictural où se joignent imaginaire et réalité, présent et futur. Où les idées du peintre prennent corps, comme dans une partie de la littérature médiévale ou des personnifications se mélangent aux êtres humains.

LA MODE

Si le peintre fait se rejoindre les temps, il n'en est pas moins à la mode… car dans l'esprit d'universalité de l'époque des Lumières. Il peint avec soin les petites maîtresses et les petits-maîtres de son temps et la mode du jour avec son anticomanie, les prémices du Romantisme (architectures gothiques, ruines…), son goût pour l'univers pastoral, la galanterie, etc. Élisabeth Vigée Le Brun, dans ses Souvenirs, le décrit ainsi : « de tous les artistes que j’ai connus, Robert était le plus répandu dans le monde, que du reste, il aimait beaucoup. […] Il avait de l’esprit naturel, beaucoup d’instruction, sans aucune pédanterie, et l’intarissable gaieté de son caractère le rendait l’homme le plus aimable qu’on pût voir en société ».

Dans le tableau ci-dessous Le Bosquet des Bains d'Apollon de 1803, il met en scène trois de ses thèmes favoris : l'eau, la nature et la dilution du temps dans l'art. L'élément aqueux est présent dans toute la carrière du peintre, et il le représente avec une grande dextérité. En haut à droite de l'oeuvre les tons utilisés pour peindre les différentes tonalités de la lumière sont d'un tendre éblouissement, allant du bleu du ciel à l'or en passant par un mauve très doux mais dense. Il y a une nouvelle fois l'antique à travers les sculptures d'Apollon et des naïades, mais aussi Louis XIV qui se fait ainsi représenté sous les traits du dieu du Soleil... et puis des gens à la mode de 1803 avec des merveilleuses habillées à l'antique, avec leur chapeau-casque, leur robe-tunique à la grecque, leur châle, et deux enfants dont un jeune garçon habillé en jockey comme c'est alors la mode.

Malgré les quatre articles que je viens de publier j'ai l'impression d'avoir à peine effleuré l'oeuvre de ce peintre, dont je le répète, c'est une chance de pouvoir contempler autant de ses œuvres rassemblées dans cette exposition au Louvre ; surtout à notre époque très troublée où nous avons besoin de voir un peu plus loin que le bout de notre nez.

Les quatre articles :

http://www.lamesure.org/2016/03/hubert-robert-1733-1808-un-peintre-visionnaire-1.html

http://www.lamesure.org/2016/03/hubert-robert-1733-1808-un-peintre-visionnaire-2.html

http://www.lamesure.org/2016/03/hubert-robert-1733-1808-un-peintre-visionnaire-3.html

http://www.lamesure.org/2016/03/hubert-robert-1733-1808-un-peintre-visionnaire-4.html

Merveilleuses & merveilleux